mercredi 18 décembre 2013

Abstention aux Législatives de 2013, interview de Abraham Bengaly, Professeur à l'Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako

Le Mali a organisé les élections législatives, ultime étape au retour à l’ordre constitutionnel. Mais le taux de participation a été très faible pour les deux tours du scrutin : 38% de taux de participation au premier tour et seulement 37,24% au second tour. Nous avons voulu analyser les raisons de cette abstention et les solutions pour ramener les électeurs à user massivement de leur droit de vote avec Abraham Bengaly, enseignant à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako.

Caritas Mali : Le deuxième des législatives au eu lieu ce dimanche 15 décembre 2013. Premier constat, le taux de participation très faible, qu’est ce qui pourrait justifier ce manque d’enthousiasme des électeurs maliens ?

Abraham Bengaly : Tout d’abord, je voudrais préciser que les élections législatives qui viennent de se dérouler constituent une étape importante dans le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans notre pays. Après l’élection du président de la République, les maliens étaient massivement attendus aux urnes pour relever le défi de la participation. Pour moi, il y a deux manières de participer à la gestion des affaires publiques d’abord en tant qu’électeur ou en tant qu’élu. Malheureusement comme vous l’avez constaté, hier, il n’y a pas eu grande affluence durant le vote. Tous, on avait pensé que dans l’après midi les choses allaient évoluer favorablement, que les électeurs allaient sortir accomplir leur devoir mais hélas ce ne fut pas le cas. Le constat général, c’est qu’il y a eu une faible mobilisation autour du processus électoral pendant le second tour.

Caritas Mali : Si tout va bien, la future assemblée va bientôt siéger. Les députés ayant été élus avec un taux d’abstention élevé, la question de leur légitimité peut-elle être évoquée ?

Abraham Bengaly : En l’état actuel de la loi électorale, il n’y a pas eu de dispositions spécifiques qui peuvent remettre en cause la légitimité du processus mais la question de légitimité somme toute se pose avec acuité pour la simple raison que les députés sont les représentants du peuple. La logique voudrait que le peuple puisse élire le député de son choix mais si le député est élu avec un taux d’élection très faible cela peut mettre en débat la question de la légitimité parce que lorsqu’on parle de légitimité, il s’agit de l’expression de la volonté du peuple. Or la volonté d’un peuple ne peut être exprimée valablement qu’au-delà d’un seuil. L’une des faiblesses de notre loi électorale, c’est que le législateur n’a pas fixé un seuil et c’est important aujourd’hui qu’on puisse réfléchir pour la suite à voir comment réaménager notre loi électorale pour prendre en compte cette préoccupation aujourd’hui évidente à savoir l’élection avec un faible taux de participation. 

Caritas Mali : Ce phénomène d’abstention traduit-il un manque de confiance entre l’électorat et la classe politique ?

Abraham Bengaly : A notre avis, il y a deux enseignements qu’on peut tirer de cette situation. D’abord une responsabilité partagée entre les partis politiques, les autorités et les citoyens. Le premier enseignement, c’est que le mode de scrutin actuel n’est plus conforme aux aspirations du peuple malien pour la simple raison qu’au cours de cette consultation électorale, nous nous sommes rendu compte que la population n’a pas voulu sortir. Les électeurs ont été bloqués dans leur élan à cause des alliances supposées entre guillemet contre nature selon leur perception parce que si vous regardez ce qui s’est passé durant l’élection du président de la république, les positions ont été clairement affichées. Les partis politiques qui sont censés ne pas se retrouver se sont retrouvés de part leur programme ou suivant les choix imposés par les candidats eux-mêmes. Cette situation a du coût créé une frustration chez bon nombre d’électeurs qui ne pensaient pas retrouver ensemble un certain nombre de partis politiques. Dans certaines circonscriptions vous allez retrouver ces partis ensemble et ailleurs, ils s’affrontent. Je tiens à préciser que ce premier enseignement n’est pas imputable aux partis politiques mais surtout au mode de scrutin. A la lecture de ce qui s’est passé durant les législatives, il serait bien qu’on évolue vers le scrutin uninominal plutôt que de continuer avec le scrutin de liste. Le second enseignement, c’est par rapport à notre processus électoral qui mérite d’être renforcé dans la mesure où les citoyens n’ont pas bien perçu les enjeux réels de cette consultation électorale. Cela se comprend dans la mesure où ces élections se sont déroulées dans une sorte d’indifférence des populations. Cette indifférence à continuer alors que nous souhaiterions avoir tout le contraire cette année tout d’abord à cause des enjeux, ces enjeux, ce sont les événements que le Mali a connus et qui ont atteint d’une certaine manière les institutions. Les présidentielles ont permis de rétablir la première institution et avec les législatives on devait mettre en place la seconde institution et finir avec les communales mais cette phase n’a pas comblé les attentes et on comprend aisément que les responsabilités sont partagées. Les partis politiques n’ont pas bien joué leur rôle, les autorités aussi qui doivent améliorer les manières de faire mais le citoyen aussi qui est lui-même interpellé par rapport à son devoir de citoyen. On peut parler aujourd’hui de responsabilité partagée. 

Caritas Mali : Au vu de ce constat d’abstention, faut-il rendre le vote obligatoire ?

Abraham Bengaly : C’est une question qui est posée mais je ne vois pas la solution sous cet angle là. J’aurais toujours souhaité le renforcement de la culture démocratique à travers l’éducation à la citoyenneté, aller vers l’éveil des consciences que plutôt en faire une obligation. A partir du moment où on en fait une obligation, on peut dès l’instant perdre le sens du vote qui est d’abord un droit. L’électeur a donc la faculté d’aller voter ou pas. La liberté de voter est consacrée par notre constitution. Même dans les grandes démocraties, on ne peut pas forcer les électeurs à aller voter. Pour amener les citoyens à voter massivement, il faut leur permettre de comprendre les enjeux, permettre aux électeurs de pouvoir aller voter pour des raisons qui sont importantes. Le déficit de culture démocratique a fait aujourd’hui, qu'on a oublié les définitions classiques des institutions, l’importance des institutions. On a oublié quelque part ce que la représentation nationale peut nous apporter. Les députes élus représentent tout le peuple malien dans sa compétence et toute sa composition. A partir de cet instant, on ne peut pas être indifférent par rapport à ce scrutin. Si nous sommes arrivés à cette situation, c’est aussi parce qu’on a oublié la représentation nationale et ce que cela peut nous apporter. Sans être obligatoire, le vote est très important et le citoyen doit savoir que c’est un instrument très important qu’il détienne. Le vote est un moyen important qui permet d’apporter un changement. Le citoyen doit pouvoir se servir du vote pour atteindre le changement qui lui-même souhaite. Le vote est un moyen démocratique que le citoyen a pour apporter le changement et il doit s’en servir.
Ce qui a manqué durant ces élections, c’est que nous avons confondu deux consultations électorales à savoir les élections présidentielles et législatives. L’élection du président la république est intervenue dans une période marquée par des crises et surtout une période de transition et les citoyens ont voulu aller vers le rétablissement de l’ordre constitutionnel mais on aurait du expliquer, entretenir ce lien entre les citoyens pour que cet engouement puisse rester afin que les citoyens puissent voter massivement. Je pense que c’est ce qui a manqué à ce processus et il faudrait voir dans quelle mesure, il faut mettre en place des programmes d’éducation à la citoyenneté, des programmes pour expliquer aux citoyens le fonctionnement des institutions de la République dans un Etat démocratique. Il faut expliquer les concepts de démocratie, d’Etat de droit, les rapports entres les différentes institutions etc. Aujourd’hui nous avons un exemple qui peut nous permettre de plancher sur ce sujet. 

Caritas Mali : Hormis ce taux faible, le Mali est en marche. Les électeurs ont voté dans le calme, c’est déjà un pari gagné !

Abraham Bengaly : Tout a fait, le Mali a amorcé un très bon départ de retour à l’ordre constitutionnel pour le renforcement de la démocratie. De façon graduelle, on a senti, une évolution dans l’organisation des différents scrutins. Les différentes recommandations qui ont été formulées par les missions d’observations notamment la Mission d’Observation Électorale de Caritas Mali lors des présidentielles ont permis aux organes de gestion des élections à améliorer le processus électoral. Les améliorations ont continué durant les législatives. On peut s’estimer heureux aujourd’hui parce que le processus est en marche et vraiment la marche vers le renforcement de la démocratie est en cours. Il faut à présent mettre l’accent sur les mesures d’accompagnement du processus pour amener le citoyen lui-même à être acteur du processus électoral et ça c’est très important.
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